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Juillet 2019

à propos

Donc, notre deuxième livraison de nos “pages beldev“.
L’on a hésité, sans qu’évidemment une telle interrogation ne soit cruciale pour notre planète : fallait-il suspendre leur envoi pendant le mois de Juillet et revenir à la “rentrée” de Septembre ? N’allait-on pas subir d’innombrables e-mails automatiques d’absence, “out of office “ ?
La décision a été, très rapidement, prise, même si l’Eté n’a pas horreur du vide.
Le mois de Juillet est un vrai mois de travail. Et, mieux encore de travail de réflexion pour ceux qui, comme nous, hantent les circuits judiciaires.
Le pied se relève, la pression se dégage, la lumière vient cogner sur les fronts.
C’est l’heure du retour sur soi, sur le temps écoulé, sur le bilan de l’année “judiciaire”. Le mois d’Aout, on est ailleurs puisque tous sont ailleurs…
Donc des “pages beldev”, en Juillet…
Juillet. Un temps presque impérial lorsque l’on rappelle d’où vient le terme : l’empereur Auguste a renommé le septième mois de l’année Quintilis en Julius pour rendre hommage à Jules César, né le 12 ou le 13 juillet, en 100 av. J.

Du temps judiciaire perdu. Frais de retrait et dommages immatériels

La perte de temps lorsqu’un justiciable, qu’il s’agisse, dans notre champ d’activité, d’un assuré ou d’un assureur, s’acharne à aller contre une réalité juridique pourtant claire et incontournable est fort préjudiciable pour tous. Elle nous empêche de nous concentrer sur de vrais sujets.
Le débat (manifestement biaisé) qu’a eu à trancher la Cour de Cassation dans un arrêt en date du 28 Mars 2019 ( 2e civ, n° 18-15088) nous en donne une illustration flagrante.
Il s’agissait de savoir si les frais de retrait et de destruction engagés par un assuré d’un produit dont le défaut s’était révélé avant la livraison étaient garantis dans le cadre d’une police de responsabilité civile au titre des fameux “Dommages immatériels non consécutifs”.
La question des frais de retrait d’un produit défectueux lorsque celui-ci est décelé avait dans le passé, avant que les clauses d’exclusion des polices d’assurances ne soient précises, toujours généré le débat.
Les thèses en présence étaient assez tranchées. Elles s’affrontaient lorsqu’il s’agissait de frais engagés par un tiers après livraison.
Soit un produit dont le défaut est avéré, qui a été livré et qu’il faut vite retirer du marché avant sa consommation ou son utilisation.
Il existe une garantie spécifique (frais de retrait) qui organise un tel rappel dans des conditions de garanties assez claires.
Mais certains avaient pu considérer que dans le cas où cette garantie n’a pas été souscrite, la police de responsabilité souscrite par l’entreprise pouvait trouver application, s’agissant de dommages immatériels subis par des tiers. Les assureurs rétorquaient que de tels frais de retrait, ne pouvaient qu’être exclus puisqu’en effet il s’agissait d’un dommage entrant clairement dans le coût de la réparation ou du remplacement jamais garanti.
Désormais, la quasi-totalité des polices d’assurances prévoyant, sauf garantie spécifique souscrite, l’exclusion des frais de retrait, le débat s’est vidé de lui-même.
Les polices de RC excluent donc, classiquement, le coût du produit et son remplacement, sa réparation. Et son RETRAIT.
Le débat n’avait pas, sauf erreur, été initié lorsque le produit n’avait pas encore été livré à un tiers, tant il est vrai qu’en l’absence de tels dommages, l’on ne voyait pas comment la police de RC à l’égard des tiers pouvait trouver application !
Pourtant une entreprise a tenté de le faire juger, suivi avec succès par une Cour d’Appel fort généreuse.
L’on sait ce que sont les “dommages immatériels” (définis dans le passé comme un préjudice financier ou une privation de jouissance mais qui constituent dans la rédaction moderne des polices d’assurances tout ce qui n’est pas atteinte à une matière, un dommage matériel) lesquels, ici ne sont pas consécutifs à un dommage matériel lequel est circonscrit dans le produit lui-même et qui est donc non garanti. Les professionnels utilisent couramment l’abréviation de “DINC” (pour nommer les dommages immatériels non consécutifs à un dommage matériel ..garanti).
La Cour de Cassation vient de statuer dans ce curieux litige.
L’espèce était la suivante : une société exerçant dans le secteur alimentaire (boulangerie et pâtisserie) est titulaire d’un contrat d’assurance garantissant avant et après livraison, tant les dommages immatériels non consécutifs que les frais de retrait des produits livrés (après livraison).
Le contrat prévoit, normalement que « sont garantis aux conditions et limites fixées par le contrat les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile que l’assuré peut encourir du fait des dommages corporels, matériels et immatériels, causés à un tiers et imputables aux activités déclarées de son entreprise, sous réserve des seules exclusions prévues ci-dessous ».
Un défaut se révèle avant même la livraison et l’entreprise détruit les produits non commercialisables.
L’assureur refuse sa garantie mais la Cour d’Appel lui donne tort en jugeant que l’assuré était garanti au titre des DINC, lesquels constituaient “les coûts engagés pour opérer, avant livraison des produits défectueux, le triage, le stockage ainsi que la destruction de ces produits présentant un danger certain de dommage matériel pour les clients, tiers au sens de la police d’assurance ».
La Cour de cassation dans un arrêt du 28 Mars 2019 ( 2eciv, n° 18-15088) casse en indiquant que :
« la garantie de l’assureur n’était due que pour les seules conséquences pécuniaires de la responsabilité civile encourue par l’assuré du fait des dommages causés à un tiers, et que les coûts exposés par l’assuré pour le retrait et la destruction des produits défectueux avant livraison ne constituent pas des dommages immatériels causés à un tiers au contrat d’assurance ».

La solution allait de soi : aucun dommage à un tiers.
Si le tiers avait été livré, la garantie “frais de retrait” aurait été mobilisée.
Oui, du temps perdu, tant la chose était claire. L’assuré n’est pas un tiers. Sauf dans une planète encore inconnue où le droit est le contraire de lui-même…

Assuré avant d’avoir reçu un bien ? Sur le transfert du contrat d’assurance. Ou quand la transmission du contrat d’assurance précède le transfert de propriété du bien vendu…

Soit un immeuble parfaitement vendu. Mais le transfert de propriété est conventionnellement retardé. Avant que ledit transfert intervienne, le bien est vandalisé.
Un contrat d’assurance de Dommages garantit ce type de sinistre. Qui doit toucher l’indemnité ? Le vendeur qui n’a pas encore transféré le bien ou l’acquéreur qui ne l’a pas encore reçu (étant précisé, comme tous le savant que le contrat se transfère automatiquement à l’acquéreur).
Quel est donc l’évènement générateur de l’acquisition du bien, emportant bénéfice du contrat d’assurance ?
Dans un arrêt en date du 7 Mars 2019 (Cass. 3e civ, no 18-10973), la Cour de cassation semble opérer un revirement de jurisprudence en considérant que la vente l’emporte sur le transfert de propriété .
Extrait de l’arrêt :
La Cour :
(…)
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 26 octobre 2017), que, par acte du 12 juin 2012, la société civile immobilière Activités courriers industriels et la société La Poste ont vendu un bâtiment industriel à M. Q., à qui s’est substituée la société Axiatis, la réitération de la vente par acte authentique devant intervenir le 31 juillet 2013 ; qu’en juillet 2013, le bâtiment a subi des dégradations ; que, refusant de réitérer la vente, les vendeurs ont assigné l’acquéreur en caducité de la promesse de vente ; que celui-ci les a assignés en perfection de la vente et en paiement de la clause pénale et d’une somme destinée à la remise en état des lieux ; que l’assureur de l’immeuble, la société Allianz IARD, a été appelée à l’instance ;

Vu l’article L. 121-10 du Code des assurances ;
Attendu que, pour écarter la subrogation de la société Axiatis dans les droits des venderesses à l’égard de leur assureur, l’arrêt retient que c’est au jour du sinistre que doit être appréciée la qualité de propriétaire des biens assurés donnant seule vocation au bénéfice de l’assurance ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que le sinistre était survenu après la conclusion de la promesse de vente et que, sauf clause contraire, l’acquéreur du bien assuré se voit transmettre l’ensemble des droits nés du contrat d’assurance souscrit par le cédant et peut en conséquence réclamer le versement entre ses mains de l’indemnité due au titre du sinistre, alors même que celui-ci serait antérieur au transfert de propriété, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs :
Casse et annule, mais seulement en ce qu’il rejette la demande de subrogation de la société Axiatis dans les droits de la société civile immobilière Activités courriers industriels et la société La Poste, l’arrêt rendu le 26 octobre 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Douai, autrement composée

Ici, le droit est un peu malmené, tant il est vrai que c’est toujours le transfert de propriété effective qui l’emporte dans ce type de litige. Il est non pas moins vrai que du point de vue de la morale économique (une notion qui existe), l’arrêt n’est pas scandaleux.
Il faudra en tous cas que les assureurs et leurs experts analysent bien les contrats dans ce type de période de “suspension dans les airs“ de la vente et du transfert.

billet : flexibilité et invariants

Lorsque l’on pose la question de savoir comment rechercher, comment trouver la solution (ici juridique, stratégique, technique), il n’est pas interdit de répondre : “je cherche les invariants…

Le terme vient de la littérature structuraliste, souvent employé par C. Lévi-Strauss, lequel, travaillant sur des faits, des mythes, homogènes, les construit en “formes” en “armatures logiques“.
Ainsi, dans le monde, il existe des invariants. Et comme le disait Georges Devereux, “il n’existe pas de fantasme présent dans la culture d’un psychiatre viennois qui n’ait été incarné par une institution dans quelque société amérindienne, et réciproquement“.
Et dans le droit, la Jurisprudence, dans laquelle l’on plonge dans ces “pages”, c’est effectivement l’invariant qu’il faut chercher, la règle abstraite qui configure une matière, la règle de principe souvent oubliée dans le foisonnement et le trop-plein d’informations documentaires.
La recherche de l’invariant dans le champ concerné est donc la meilleure des méthodes d’approches du sujet qu’il faut cerner, pour trouver une solution, une réponse adéquate à la question posée. En cherchant ce qui “structure“, la règle nodale, centrale, on peut commencer à réfléchir sur les glissements, le périphérique et le principal, en trouvant les mots-clefs autour desquels la pensée va se “construire
Cependant, à s’en tenir à l’armature logique, à la brique incassable que constitue la règle de droit dans le domaine “fouillé“, l’on oublie souvent les frémissements, les contournements, les locutions qui, subrepticement, presque en silence, bouleversent la règle, presque un processus de destruction de la structure…
C’est le cas lorsque le “chercheur“ jouit d’un “revirement”, par exemple jurisprudentiel. Il sent la structure frémir sous le raisonnement.
Mais c’est oublier que ledit “revirement” s’inscrit toujours et nécessairement dans la structure qu’il malmène certes, mais dans sa logique.
La flexibilité est peut-être aussi un invariant.
Il faut donc nuancer en répondant à la question précitée et dire “je cherche les invariants et leur flexibilité“.
C’est, en réalité, la définition du Droit.

Prescription biennale, suite de la sévérité

L’on considère, toujours, que celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la démontrer (ancien article 1315 devenu 1353 du Code Civil).
Il en est ainsi, normalement, de l’assuré, lequel, lorsque, légitimement, il sollicite la garantie de son assureur, devrait produire la police d’assurance invoquée et démontrer l’existence d’un évènement dommageable garanti.
Or, dans une instance opposant assureur et assuré, il a pu être jugé par la Cour de Cassation dans un arrêt en date du 18 Avril 2019 (Cass, 2e civ, 18-13938) que l’assureur qui ne produit pas son contrat d’assurance ne peut se prévaloir de la prescription biennale, les juges ne pouvant vérifier si l’article R. 112-1 du code des assurances a bien été respecté en ce qu’il prévoit que les polices d’assurance doivent rappeler les dispositions des titres Ier et II, du livre Ier de la partie législative du code des assurances concernant la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance. Sous peine d’inopposabilité à l’assuré du délai de prescription (jurisprudence constante désormais).
La cour d’appel avait accueilli la demande d’irrecevabilité de l’assureur, les assurés en ne produisant pas le contrat, elle ne pouvait vérifier sa conformité au texte précité.
Son arrêt est cassé au visa de l’article 1315, devenu 1353, du code civil. La Cour de Cassation estime en effet que les premiers juges avaient inversé la charge de la preuve. C’est l’assureur qui doit démontrer et non l’assuré…
La question de l’inversion de la charge de la preuve mérite débat que nous n’entamerons pas ici.
On relève juste ici une nouvelle avancée dans la sévérité. Tous, désormais, savent qu’elle est dictée par le souci récurrent de la Cour de Cassation de voir abroger cette prescription courte, biennale…

la photo

Une photo par mois, donnée à voir par un de nos amis photographes

actualités, brèves

1 - BELDEV. Marine Chevallier-Méric, collaboratrice du Cabinet a intégré le cercle des associés beldev
Marine est titulaire d’une Maîtrise carrières judiciaires et sciences criminelles (Paris II) et d’un Certificat d’Anglais Juridique et d’un DEA de droit privé (Paris I)
Elle a prêté serment en octobre 2007.
Elle a collaboré 7 ans, de 2007 à 2014, au sein d’un cabinet spécialisé en droit des transports,puis de 2014 à 2017, au sein d’un cabinet spécialisé en droit de la responsabilité civile et qui intervient dans le domaine des risques de l’entreprise.
Elle était collaboratrice depuis 2017 au sein de BELDEV. Donc désormais associée.
LA PREDICTION EN CLAUSE. On a lu dans une revue spécialisée que des assureurs « Protection juridique » travaillaient sur l’insertion dans la police d’une clause, laquelle, en faisant appel à la « justice prédictive » (intelligence artificielle susceptible de fournir le résultat d’une action judiciaire) exclurait tout procès dont les chances de succès seraient égales à 1%. Donc 99% de chance de perdre le procès. L’on avoue notre perplexité. D’abord du point de vue du droit des assurances et le caractère formel et limité d’une telle clause qui ferait la part belle à un algorithme mal maitrisé ou sujet à erreurs. Ensuite d’un point de vue de la probabilité : 1% n’est pas rien. Il peut même être tout entier enfermé dans le talent d’un professionnel ou la déviance d’un juge. Enfin d’un point de vue philosophique : l’incursion totale dans la détermination exclut l’existence d’un sujet libre, conscient, agissant. Or l’Occident l’a inventé et Descartes l’a mis en forme. On ne peut clamer la liberté humaine et la dissoudre dans prédétermination algorithmique. Il faut savoir choisir.

3 - LOI PACTE ET VEHICULES SANS CONDUCTEUR La loi PACTE du 22 mai 2019 modifie l’ordonnance n° 2016-1057 du 3 août 2016, laquelle a créé un régime d’autorisation de circulation sur la voie publique afin de faciliter l’expérimentation de véhicule à délégation partielle ou totale de conduite.
L’ouverture de l’expérimentation aux véhicules sans conducteur; Il est prévu que le système de délégation de conduite puisse être à tout moment neutralisé ou désactivé par le conducteur, un superviseur extérieur qui peut, à tous moments prendre le contrôle du véhicule,
Des dispositions de responsabilité civile et pénale sont par ailleurs prévues qui seront analysées très prochainement.
Après une justice sans juges (“justice prédictive”), des véhicules sans chauffeur. Où sont donc passés les humains ?

La relativité du fondement juridique ?

Un arrêt en date du 9 Mai 2019 ( Cass 1ère civ, 18-14736) retient l’attention tant il malmène la notion pourtant essentielle du «* fondement juridique* ».
Une société assigne son vendeur (une machine agricole) en résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés. Le vendeur met en cause le fabricant et sollicite sa «garantie ». Dans ses conclusions ultérieures, il conclut à titre subsidiaire à la résolution de la vente conclue avec le fabricant, si le juge fait droit à la demande de résolution de la vente à l’acquéreur.
La résolution de la vente entre l’acquéreur et le vendeur est prononcée.
Le fabricant imagine alors soulever la prescription de l’action en considérant que l’action en garantie à l’encontre du fabricant, fondée sur l’article 1134 du code civil, n’a pas le même objet que l’action en résolution de la vente pour vices cachés et n’avait par conséquent pas eu d’effet interruptif sur cette action.
L’arrêt est cassé en considérant que les deux actions « tendent aux mêmes fins » dans les termes suivants :
Attendu que si, en principe, l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu’ayant une cause distincte, tendent aux mêmes fins, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première

Attendu que, pour déclarer irrecevable, comme prescrite, l’action en garantie des vices cachés exercée par le vendeur contre le fabricant, après avoir retenu que la prescription biennale avait commencé à courir le 19 juillet 2011, date de l’assignation délivrée par l’acquéreur, l’arrêt énonce que l’assignation en garantie, signifiée le 20 avril 2012 et fondée sur l’article 1134 du code civil, n’a pas le même objet que l’action en résolution de la vente pour vices cachés formée par conclusions du 7 novembre 2014, et en déduit qu’elle n’a pas eu d’effet interruptif sur cette action

Qu’en statuant ainsi, alors que l’action engagée par le vendeur contre le fabricant le 20 avril 2012, bien que fondée sur l’article 1134 du code civil, tendait, comme celle formée le 7 novembre 2014, à la garantie du fabricant en conséquence de l’action en résolution de la vente intentée par l’acquéreur contre le vendeur sur le fondement des vices cachés et au paiement par le fabricant du prix de la vente résolue, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

Cette décision ne nous semble pas critiquable, l’intention du vendeur étant bien circonscrite. L’on est cependant en droit, si l’on ose dire, de s’interroger sur la portée de la notion du « fondement juridique », un peu écrasée…

La lourde négligence de l’assuré et l’irruption de la faute dolosive

1 - L’article L113-1 du code des assurances, assez connu des juristes et praticiens édicte donc que :
« Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.
Toutefois, l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré.

2 - Cependant, par un mystère au demeurant assez explicable (l’assureur n’osait se risquer à invoquer une notion dont le flou de la définition le laissait paralysé dans son analyse du sinistre), cette locution (« la faute dolosive ») était oubliée…
Ne revenaient, de manière récurrente, dans la littérature assurantielle ou les décisions judiciaires, que les débats autour de la faute intentionnelle, les assureurs étant toujours les perdants de la partie engagée, la volonté subjective de causer le dommage tel qu’il était survenu faisant toujours défaut, même si l’assuré avait bien conscience de sa survenance plus que probable…
En effet, la faute intentionnelle de l’assuré, exclusive de toute garantie, suppose une conscience délibérée de provoquer le dommage, la volonté de causer le dommage tel qu’il est survenu.
Dès lors, sauf escroquerie à l’assurance (le sinistre volontaire), l’assureur ne pouvait, devant un assuré dont la négligence était telle qu’il ne pouvait exclure que le sinistre pouvait se produire, même s’il ne le désirait pas directement et subjectivement, se risquer à refuser sa garantie, les juridictions veillant à protéger l’assuré dans des raisonnements sans frontières dans la défense exacerbée de l’assuré considéré comme une victime.

3 - Mais voici qu’une Chambre de la Cour de Cassation (la deuxième) s’en est mêlée, certains praticiens invoquant, très à propos, la locution longtemps enterrée de l’article L113-1 du Code des Assurances : la faute dolosive.
Elle la définit comme « un manquement délibéré de l’assuré privant le contrat d’assurance de son caractère aléatoire » (Cass. 2eciv., 28 févr. 2013, n° 12-12813, RGDA 2013, p. 586, note A. Pélissier).
Et dans un arrêt en date du 12 Septembre 2013, cette deuxième Chambre (n° pourvoi 12-24650) a pu juger à l’occasion d’un sinistre survenu alors que l’assuré avait emprunté une rivière avec son véhicule lequel avait ainsi subi un dommage inéluctable dont il demandait réparation à son assureur automobile que :
« qu’il est ainsi établi que M. X… avait, en toute connaissance de la topographie des lieux, engagé son véhicule dans une rivière, ce qui non seulement ne correspond pas à la déclaration de sinistre effectuée auprès de la société d’assurance dans laquelle il indique qu’en raison du caractère « détrempé de la voie de circulation, il a dérapé et fini sa course dans une mare d’eau », mais révèle une prise de risque volontaire dans l’utilisation d’un véhicule non conçu pour cet usage ; que ceci implique que, bien que n’ayant pas recherché les conséquences dommageables qui en sont résultées, M. X… a commis une faute justifiant l’exclusion de garantie en ce qu’elle faussait l’élément aléatoire attaché à la couverture du risque;
Qu’en l’état de ces constatations et énonciations procédant de son appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve, la cour d’appel a pu retenir par une décision motivée, répondant aux conclusions, que M. X… avait volontairement tenté de franchir le cours d’une rivière avec un véhicule non adapté à cet usage et qu’il avait ainsi commis une faute dolosive excluant la garantie de l’assureur
“ ;

Encore plus récemment, la même Chambre, dans un arrêt en date du 25 Octobre 2018 (16-23103) a jugé que :
Les expertises diligentées avant et après l’effondrement survenu le 27 mai 2010 avaient constaté la gravité des désordres affectant la grange en sa partie appartenant à M. X… et qu’en dépit de cette gravité apparente et de trois lettres de mise en garde que les consorts C… A… lui avaient adressées les 2 avril 2007, 24 mars et 22 octobre 2009 pour attirer son attention sur l’urgence de faire procéder à des réparations, celui-ci, qui ne pouvait ignorer qu’en l’absence de travaux de consolidation, la couverture de sa partie de grange était vouée à un effondrement certain à brève échéance, était demeuré sans réaction, la cour d’appel, qui, dans l’exercice de son pouvoir souverain, a retenu que la persistance de M. X… dans sa décision de ne pas entretenir la couverture de son immeuble manifestait son choix délibéré d’attendre l’effondrement de celle-ci, a pu en déduire qu’un tel choix, qui avait pour effet de rendre inéluctable la réalisation du dommage et de faire disparaître l’aléa attaché à la couverture du risque, constituait une faute dolosive excluant la garantie de l’assureur et a légalement justifié sa décision

4 – Donc la faute dolosive se détache de l’acte intentionnel, par son glissement vers la notion d’aléa. L’assuré, ici, prend trop de risques, volontairement. Il a conscience, à vrai dire, non des conséquences dommageables inéluctables comme dans la faute intentionnelle, mais plus simplement de sa propre faute. Sans acte délibéré et sans certitude du dommage tel qu’il survient.
L’on a pu constater que certains assureurs, devant le comportement de certains assurés qui prennent tous les risques, sans tenter d’éviter un sinistre, se considérant comme assurés quoiqu’il arrive et quoi qu’ils fassent, commencent à s’interroger sur la notion de faute dolosive.

Il semble aussi que les juridictions commencent à s’intéresser de plus en plus au comportement de l’assuré. Ainsi dans une décision récente du Tribunal de Grande Instance de Paris, où il était question de savoir si le sinistre avait un caractère accidentel (ce qui fait frôler la notion d’aléa), il a été jugé que :
S’agissant de X, celle-ci dénie sa garantie. Il résulte des conditions générales de la police d’assurance « immeubles en copropriété ou en gérance » que figure parmi les responsabilités garanties « le recours des locataires ou des occupants, c’est-à-dire les conséquences pécuniaires de la responsabilité que l’assuré peut légalement encourir à l’égard des locataires ou occupants pour les dommages matériels résultant d’un événement garanti, causés à leurs biens par suite de vice de construction ou de défaut d’entretien du bâtiment (article 1721 du code civil) y compris la privation de jouissance dont pourrait être victimes les locataires atteints par le sinistre ». Pourtant, elle ne garantit que les dommages et pertes aux biens assurés par suite d’un événement accidentel ou fortuit. Or en l’espèce, la responsabilité du syndicat des copropriétaires est engagée pour un défaut d’entretien, qui ne s’analyse pas en un événement accidentel ou fortuit. Dès lors la police d’assurance ne s’applique pas au cas d’espèce.

L’interrogation et le retour aux fondamentaux, aux « invariants » (cf notre billet), ici le caractère aléatoire du contrat d’assurance en relation avec un comportement idoine de l’assuré nous semble salutaire. Moralement, économiquement, juridiquement, philosophiquement.

le livret bleu

Beldev a édité en 2018, un petit livret, à la couverture bleue. Ponctué par quelques photos, un récit sur nos métiers, une contribution succincte à une réflexion sur leurs devenirs.

Sa version numérique est désormais disponible par un clic sur le bouton rectangulaire ci-dessous.

Mystères de la suspension : l’art 2239 du Code Civil

1 - L’article 2239 du Code civil (dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 qui réforme globalement les règles et la durée de la prescription) édicte que :
« la prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès.
Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ».

2 – Cet article permettait ainsi de « geler » le temps expertal, lequel peut être assez long, et éviter ainsi la nécessité d’une assignation au fond pour préserver ses droits. Et l’on avait toujours considéré que cette suspension bénéficiait à toutes les parties à l’expertise.

En effet, l’on n’en voyait pas l’intérêt pour le demandeur à l’expertise d’une telle disposition puisqu’aussi bien, pour ce dernier, par son action en justice (le référé), il avait interrompu la prescription au surplus suspendue pendant le temps de l’expertise. Cet article du Code Civil ne pouvait l’intéresser que pour une prescription courte de 6 mois…

L’on considérait donc que toutes les parties bénéficiaient de la mesure de suspension de la prescription édictée par l’article précité, lequel, selon les commentateurs s’éloignait du principe selon lequel l’interruption de la prescription était « relative, qu’il ne bénéficiait pas au seul demandeur qui avait agi”.

3- C’était méconnaitre la volonté de la Cour de Cassation, laquelle dans un arrêt en date du 31 Janvier 2019 (Cass, Civ 2- 31-18-10011) qui s’en tient à des principes qui rendent inutile l’article 2239, en allant ainsi à l’encontre de la volonté du législateur.

L’arrêt reproduit ci-dessous permet de connaitre complètement les faits et le principe édicté par la Cour de Cassation : La mesure en référé et tend à préserver les droits de la partie ayant sollicité celle-ci durant le délai de son exécution, ne joue qu’à son profit.

Une entreprise soutenait aussi que si la prescription est interrompue seulement au profit du demandeur en référé, elle est en revanche suspendue au profit de toutes les autres parties, le délai recommençant à courir, pour ces parties, à compter du jour où la mesure a été exécutée.

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Riom, 6 novembre 2017), que la société d’HLM ICF Sud-Est Méditerranée (la société ICF) se plaignant de malfaçons résultant de travaux de couverture confiés à la société Navaron, a obtenu en référé la désignation d’un expert, puis, après dépôt du rapport d’expertise, a saisi un tribunal de commerce à fin d’indemnisation ; que la société Navaron a appelé en garantie la société Euclid ingénierie, qui avait reçu de la société ICF une mission de direction et d’exécution des travaux, et a sollicité, reconventionnellement, la condamnation de la société ICF au paiement de ses factures ; que le tribunal ayant accueilli les demandes respectives des parties, la société ICF a relevé appel du chef du jugement accueillant la demande de la société Navaron à son encontre

Attendu que la société Navaron fait grief à l’arrêt de juger irrecevable, comme prescrite, sa demande de règlement de factures formée contre la société ICF, alors, selon le moyen, qu’il résulte de l’article 26 de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 que lorsqu’une instance a été introduite après l’entrée en vigueur de ladite loi, l’action est jugée conformément à la loi nouvelle ; qu’en l’espèce, l’assignation en référé avait été délivrée par la société ICF en date du 23 septembre 2009 ; que les articles 2239 et 2241 nouveaux du code civil, issu de la loi susvisée, étaient donc applicables ; qu’il résulte de ces textes, comme le soutenait la société Navaron dans ses conclusions d’appel, que si la prescription est interrompue seulement au profit du demandeur en référé, elle est en revanche suspendue au profit de toutes les autres parties, le délai recommençant à courir, pour ces parties, à compter du jour où la mesure a été exécutée ; que la cour d’appel ne pouvait donc déclarer irrecevable la demande de paiement de la société Navaron à l’encontre de la société ICF, au motif que l’assignation en référé n’avait eu d’effet que pour la seule société ICF ; qu’elle a, ce faisant, violé l’article 2239 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi susvisée du 17 juin 2008

Mais attendu que la suspension de la prescription, en application de l’article 2239 du code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès, qui fait, le cas échéant, suite à l’interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé et tend à préserver les droits de la partie ayant sollicité celle-ci durant le délai de son exécution, ne joue qu’à son profit. D’où il suit que le moyen, qui manque en droit, n’est pas fondé. PAR CES MOTIFS, REJETTE le pourvoi

A quoi sert donc cet article 2239 qui provoque au demeurant d’innombrables questions sur l’articulation entre suspension et interruption, sur le type de demande (provision et expertise) sur lesquels l’on reviendra dans un prochain commentaire complet sur la prescription et ses mystères permanents.

Un maitre pour s’en passer

Le titre ne se réfère aucunement à notre profession, au titre qui l’accompagne.
Il est question ici, de maître, au sens de celui qui nous apprend et nous lègue son savoir.
L’accès immédiat à l’information nous l’a fait oublier.
Le jeune professionnel, le débutant est absolument persuadé que toute solution se trouve toujours en ligne, dans un article, un mot, un principe. Et qu’il suffit de chercher pour trouver. L’outil informatique ou même un « chatbot » ( un dialogueur virtuel, un « agent conversationnel » sans corps, qui dialogue avec un utilisateur) se substitue donc à celui qui sait et peut transmettre.
Nul besoin d’apprentissage, de conseil, de proximité de celui que les anciens nommaient un « maitre ».
Cependant, l’illusion ne dure qu’un temps. Jusqu’au jour où celui qui ne se considère pas encore comme un apprenti, écoute une leçon, une règle dite clairement par celui qui est passé, à grandes brasses exténuantes, dans les fleuves tumultueux du savoir. Pour en retirer la goutte centrale. Le maître, pour faire bref.
Il faut donc toujours affirmer qu’il faut toujours un maitre pour apprendre à se passer de maitre.
C’est, nous a dit un jeune pas encore maitre, la clef du devenir.

Application de la garantie légale de conformité aux biens d’occasion

Un particulier achète auprès d’un revendeur professionnel un véhicule d’occasion, à très fort kilométrage non garanti. Une panne survient un mois après la vente. Le vendeur est assigné.
Les premiers juges le déboutent, en estimant que l’achat d’un véhicule d’occasion, de kilométrage élevé, immatriculé de longue date, est de nature à exclure la prise en charge des pannes survenues après la vente, en relation presque présumée avec l’usure normale de la chose vendue.
La cour de Cassation (1èreCiv, 9 Mai 2019 18-15706) casse la décision au visa de l’article L. 217-7 du code de la consommation, lequel précise que les défauts de conformité qui se révèlent dans les 6 mois de la vente d’un bien d’occasion sont présumés exister au moment de la délivrance. Et que c’est au vendeur de mettre à néant cette présomption, en démontrant l’inexistence d’un défaut de conformité, par exemple un défaut d’utilisation…

Construction. L’absence de déclaration du chantier peut conduire à une non-assurance

En cas de non-déclaration d’un chantier, si le contrat d’assurance exclut l’application de la réduction proportionnelle de l’article L. 113-9 du code des assurances et sanctionne l’omission par une absence d’assurance, l’assureur ne doit pas sa garantie.
Un contrat d’assurance prévoit que l’assuré doit « dans les deux mois suivant chaque échéance principale adresser à la compagnie la liste nominative des chantiers de l’année d’assurance écoulée, le montant des honoraires facturés perçus ou non et le montant des coûts de chaque chantier, ou tous autres éléments variables prévus aux conditions particulières ».
Une sanction était prévue : « la non-déclaration d’un chantier entraîne la non-assurance pour l’assuré des conséquences de la responsabilité de l’assuré sur ce chantier ». Les premiers juges considèrent que la garantie ne peut être mobilisée, l’assuré n’ayant pas déclaré la mission.
La Cour de cassation (3ème Civ, 03 Juin 2019 n° 18-10022) approuve cette décision, en précisant qu‘en cas de non-déclaration d’un chantier, lorsque la police exclut l’application de la réduction proportionnelle de l’article L. 113-9 du code des assurances et sanctionne l’omission par une absence d’assurance, l’assureur ne devait pas sa garantie.
Si le contrat avait été muet sur la sanction radicale, nul doute qu’une règle proportionnelle prévue à l’article L113-9 (réduction proportionnelle en fonction de la prime payée pour l’année, tous chantiers confondus, par rapport à celle qui aurait dû l’être si le chantier litigieux avait été déclaré) aurait été appliquée…
Les assurés doivent bien lire la clause relative à la sanction en cas de non déclaration de chantier…

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les pages beldev (n°2)

Juillet 2019

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